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François Tusques, Serge Loupien, passeurs de l'underground

Le jazzman illustre en musique la somme historique du journaliste

Au générique de son histoire personnelle de l'underground figure, entre François Jeanneau, Hector, Jac Berrocal, l'ineffable Jean-Louis Chautemps, Brigitte Fontaine, Pauvros et autres Jacques Thollot… François Tusques, donc.

Tusques, pianiste, compositeur, passeur décisif de toute une époque, militant infatigable de l'ombre, jouant avec les plus joueurs de New York, ou alors pour les fous, ou bien dans les usines, présente, ça tombe à pic, une sorte de bande-son du livre de Loupien à la Comédie Nation, intitulée : Oui, mais 68 ! Avec Isabel Juanpera (voix), Claude Parle (accordéon), Itaru Oki (trompette). Plus Julien Palomo (ange tutélaire et graphisme).

Auteur, en 1965, d'un album très gonflé, Free Jazz (Bernard Vitet, Beb Guérin, François Jeanneau, Michel Portal, Charles Saudrais), cinq ans après le soufflant Free Jazz d'Ornette Coleman en double quartet, Tusques revient en piste : " J'en avais marre de ce que j'entendais sur Mai 68. Ce champ de bataille. Cette brèche politique. " Le tout dit d'une voix éraillée, rieuse et calme : " Hors système ? Je ne dirais pas cela. C'est plutôt le système qui m'a éjecté. "

" Nous restons convaincus que ce monde peut radicalement et globalement changer de base. " -Confiance inébranlable " dans la démocratie de masse, capable de s'approprier des questions que l'Etat ne pose jamais ". Ben tiens ! La Commune, Rimbaud, Don Cherry ! Fraternisation désintéressée " entre ceux que l'apartheid sépare pour mieux les opposer ". Du Tusques dans le texte !

On évitera de le réduire à son -album phare. Il n'a cessé de mettre en avant la cohorte des acteurs de rencontre qu'il prend soin de -mettre toujours devant : Daniel et Jacqueline Caux, Jean-Denis -Bonan (cinéaste), Jean-Louis Viard, Didier Petit (violoncelle énergumène, producteur aussi), Julien Palomo, William Parker…

Qu'il occupe avec eux une place de choix dans La France underground ne saurait confiner au seul free jazz la perspective claire, -impeccablement documentée, -politique et drôle au possible de Loupien. Son livre vient quinze ans après L'Underground musical en France, signé Eric Deshayes et -Dominique Grimaud (Le Mot et le Reste, 2013). Lesquels réfèrent le terme " underground " à la traduction supposée de " résistance française " face à l'occupant nazi (selon Kervran et Kien, Les Années Actuel, 2010). Marchons.

Délire collectif

Loupien s'en tient à remarquer que " souterrain ", " catacombe " ou " égout " n'auraient pas fait l'affaire. Sans compter qu'il a en mémoire l'album Underground de Monk en 1968 (quelle -pochette, mes agneaux !), celui des Electric Prunes ou le morceau de Curtis Mayfield. A quoi il ajoute, des frères Mekas à Shirley Clarke, le cinéma hors bobine convenue, et mille autres génies célestes que nulle domination n'impressionnera jamais.

Zéro prétention à l'exhaustivité. Si vous avez eu la chance de vivre ce délire collectif, La France underground sera votre Lavisse en vrac. Si vous l'avez raté, ou que vous soyez né trop tard dans un monde trop vieux, aucun problème : cette saga vous endiablera.

Contre-culture, contre-société, déjà bien installées de façon précaire dans une autre vie, de Prague à Tokyo en passant par Mexico et San Francisco, ses acteurs " sont unanimement persuadés que l'underground peut changer le monde ". Loupien, sur ce point, -rejoint Tusques. Mai 68 en ligne d'horizon imprévue. En guise de philosophie, il s'en tient à une phrase du poète Philippe Druillet : " Il est difficile d'imaginer la France d'avant Mai 68 si on ne l'a pas connue, mais, à cette époque, elle avait un beau balai dans le cul. "

De là à fonder une étude vive, -documentée, instruite, leste sur la manifestation marrante de Salut les copains à la Nation, le 20 juin 1963, il y a une marge. Sauf à relire les propos nuancés d'un Philippe Bouvard, le lendemain, dans Le Figaro : " Quelle différence entre le twist de Vincennes et les discours d'Hitler au Reichstag ? " Tout ça parce qu'on comptait sur 20 000  jeunes (selon les organisateurs), alors qu'il s'en précipiterait 200 000 (selon la police). Avec bricoles collatérales.

Y aurait-il un underground, ce soir ? Sans doute. Mais, vu les propos qu'inspirent les black blocs, les Bouvard (et Pécuchet) l'ont pour l'instant emporté. Question : pourquoi n'y a-t-il pas trace du film de Raoul Sangla Jimi Hendrix rue Daguerre (15 octobre 1967), 3 min 33 de pur bonheur et de cinématographe ? Et Pink Flamingo (1973), ces Dimanches de Ville-d'Avray des freaks ? Parce qu'on ne saurait tout dire ? Dans La France underground de Loupien, il n'y a pas tout, mais il ne manque rien. Tusques en témoigne.

Francis Marmande

© Le Monde

 

Dans le Monde un papier sur notre ami François TUSQUES
Tag(s) : #chansons, #musique
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